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lpa | 06 octocbre 2025 | 1529 vues

Uvira : le calvaire de Kahorohoro « vivre côte à côte avec les hippopotames » (récit)

À Kahorohoro, l’un des quartiers de la cité de Kiliba en territoire d’Uvira (Sud-Kivu), la vie s’organise au rythme des embarcations dans des pirogues. Dans ce village, la ligne qui sépare l’homme de la faune est devenue incertaine, et chaque sortie, chaque traversée, peut basculer en drame.

Bukene Mazambi, habitante de la contrée qui vit du commerce transfrontalier à la frontière de Kavimvira entre la RDC et le Burundi, raconte à La Presse africaine dimanche 5 octobre 2025 que : « ce chemin est devenu très dangereux à cause des hippopotames. C’est seulement Dieu qui nous protège. Moi-même je suis déjà tombée dans l’eau à cause de ces hippopotames qui nous avaient attaqués… » Sa voix tremble encore en revivant la chute ; elle évoque des voisins qui, alertés, ont plongé et les ont tirées hors de l’eau. « Si j’avais un autre travail, j’arrêterais de passer ici », souffle-t-elle, consciente que chaque traversée met sa vie en jeu.

Le sentier d’accès à Kahorohoro n’a jamais été anodin. Mais les inondations récurrentes ont élargi les eaux jusque dans les moindres replis du sol, transformant désormais plus de 450 mètres de route en un bras liquide que l’on ne franchit qu’en pirogue. « Avant, c’était seulement en saison des pluies ; aujourd’hui, c’est toute l’année », explique Mazuru Jean Kitumaini, chef de quartier. Les embarcations en pirogue deviennent l’unique moyen quotidien pour entrer et sortir pour des enfants vers l’école, des commerçants vers le marché, des malades vers l’hôpital et c.

Quand les hippopotames élisent domicile sur ce passage obligé, la vie quotidienne s’arrête. Bukene raconte que l’école des Sœurs catholiques a dû suspendre les cours plusieurs jours, lorsque les animaux ont barré le chemin des élèves et des enseignantes. « C’est avant-hier que les Wazalendo sont intervenus et ont tiré des balles pour chasser ces animaux… et les enfants ont repris le chemin de l’école », dit-elle.

Les témoignages s’accumulent sur la fragilité du lien humain à cet environnement. « Vous pouvez vous réveiller la nuit et retrouver un hippopotame devant votre porte », confie le chef de quartier, évoquant une cohabitation forcée où la peur et l’habitude se mêlent. Quand un hippopotame attaque ou détruit les champs, la colère monte et des fois les éléments armés des Wazalendo interviennent pour les chasser, certains en quête de viande, d’autres pour protéger les habitants. « Au moins trois hippopotames ont déjà été tués ici », constate-t-il.

Les pertes humaines ne sont pas toutes évitées. Des pêcheurs ont péri, dévorés par ces mastodontes des eaux, d’autres ont été grièvement attaqués : « Un enfant a été attaqué alors qu’il pêchait ; il a été soigné à l’hôpital de Yves à Kavimvira », explique le chef de quartier tout en rappelant d’autres habitants tués il y a deux ans, et de deux pêcheurs venus d’autres localités qui avaient trouvé la mort en ces lieux.

Face à ce conflit homme-faune, des voix appellent à des réponses structurées. Kitabwira Rugondera Elysée, coordinateur de l’Action Sociale pour la Promotion Agricole et Défense des droits des Animaux en RDC (ASPADA), rappelle : « les hippopotames vivent ici depuis des années ; nos grands-parents les connaissaient. » Mais la donne a changé depuis la montée des eaux du lac Tanganyika et du Marais Nyangara et la réduction des bandes enherbées obligent ces herbivores à s’aventurer près des habitations pour chercher pâture. Pour Elysée RUGONDERA, la solution ne réside ni dans la chasse systématique ni dans la répression, mais dans la planification et la protection : « Il faut trouver des voies pour départager les hippopotames et l’homme. Délocaliser des populations à risque, aménager des corridors, ou encadrer ces animaux via un projet touristique étaient des pistes déjà évoquées. »

À Kahorohoro, le chef de quartier salue les travaux de remblaiement engagés avec l’église catholique bien que n’ont pas abouti faute de moyens et d’engagements durables. Selon lui, remettre à niveau la piste, le surélever avec du sable, créer un passage sûr limiteraient les zones où hippopotames et humains se croisent. Sans cela, la routine restera fragile où chaque traversée, chaque marché, chaque nuit laisse une part d’incertitude.

La colère contre la faune grimpe à mesure que les ressentiments se nourrissent d’angoisse et d’impunité. Mais, prévient Elysée, la chasse et le braconnage sont une pente dangereuse : « Ça crée une criminalité faunique. Ces hippopotames représentent aussi une richesse ils attirent des touristes ailleurs. » Agresser ces animaux peut ouvrir la boîte de Pandore d’une exploitation illégale et d’un appauvrissement durable de la biodiversité locale.

Signalons que le quartier Kahorohoro, est à ce jour une île créé et forcée par les débordements des eaux du marais Nyangara au Nord, Est et Ouest et par la rivière Ruzizi au Sud du coté Burundi.  

 

Pascal BAHUNDE – LPA Sud-Kivu



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