Uvira : le calvaire de Kahorohoro « vivre côte à côte avec les hippopotames » (récit)
À Kahorohoro, l’un des quartiers de la cité de Kiliba en territoire d’Uvira (Sud-Kivu), la vie s’organise au rythme des embarcations dans des pirogues. Dans ce village, la ligne qui sépare l’homme de la faune est devenue incertaine, et chaque sortie, chaque traversée, peut basculer en drame.
Bukene Mazambi, habitante de la contrée qui vit du
commerce transfrontalier à la frontière de Kavimvira entre la RDC et le Burundi,
raconte à La Presse africaine dimanche 5 octobre 2025 que
: « ce chemin est devenu très dangereux à
cause des hippopotames. C’est seulement Dieu qui nous protège. Moi-même je suis
déjà tombée dans l’eau à cause de ces hippopotames qui nous avaient attaqués…
» Sa voix tremble encore en revivant la chute ; elle évoque des voisins qui,
alertés, ont plongé et les ont tirées hors de l’eau. « Si j’avais un autre travail, j’arrêterais de passer ici »,
souffle-t-elle, consciente que chaque traversée met sa vie en jeu.
Le sentier d’accès à Kahorohoro n’a jamais été anodin.
Mais les inondations récurrentes ont élargi les eaux jusque dans les moindres
replis du sol, transformant désormais plus de 450 mètres de route en un bras
liquide que l’on ne franchit qu’en pirogue. « Avant, c’était seulement en saison des pluies ; aujourd’hui, c’est
toute l’année », explique Mazuru Jean Kitumaini, chef de quartier. Les
embarcations en pirogue deviennent l’unique moyen quotidien pour entrer et
sortir pour des enfants vers l’école, des commerçants vers le marché, des
malades vers l’hôpital et c.
Quand les hippopotames élisent domicile sur ce passage
obligé, la vie quotidienne s’arrête. Bukene raconte que l’école des Sœurs
catholiques a dû suspendre les cours plusieurs jours, lorsque les animaux ont
barré le chemin des élèves et des enseignantes. « C’est avant-hier que les Wazalendo sont intervenus et ont tiré des
balles pour chasser ces animaux… et les enfants ont repris le chemin de l’école
», dit-elle.
Les témoignages s’accumulent sur la fragilité du lien
humain à cet environnement. « Vous pouvez
vous réveiller la nuit et retrouver un hippopotame devant votre porte »,
confie le chef de quartier, évoquant une cohabitation forcée où la peur et
l’habitude se mêlent. Quand un hippopotame attaque ou détruit les champs, la colère
monte et des fois les éléments armés des Wazalendo interviennent pour les
chasser, certains en quête de viande, d’autres pour protéger les habitants. « Au moins trois hippopotames ont déjà été
tués ici », constate-t-il.
Les pertes humaines ne sont pas toutes évitées. Des
pêcheurs ont péri, dévorés par ces mastodontes des eaux, d’autres ont été
grièvement attaqués : « Un enfant a été
attaqué alors qu’il pêchait ; il a été soigné à l’hôpital de Yves à Kavimvira
», explique le chef de quartier tout en rappelant d’autres habitants tués il y
a deux ans, et de deux pêcheurs venus d’autres localités qui avaient trouvé la
mort en ces lieux.
Face à ce conflit homme-faune, des voix appellent à
des réponses structurées. Kitabwira Rugondera Elysée, coordinateur de l’Action Sociale pour la Promotion Agricole et Défense des
droits des Animaux en RDC (ASPADA), rappelle : « les hippopotames vivent ici depuis des années ; nos grands-parents les
connaissaient. » Mais la donne a changé depuis la montée des eaux du lac
Tanganyika et du Marais Nyangara et la réduction des bandes
enherbées obligent ces herbivores à s’aventurer près des
habitations pour chercher pâture. Pour Elysée RUGONDERA, la solution ne réside
ni dans la chasse systématique ni dans la répression, mais dans la
planification et la protection : « Il
faut trouver des voies pour départager les hippopotames et l’homme. Délocaliser
des populations à risque, aménager des corridors, ou encadrer ces animaux via
un projet touristique étaient des pistes déjà évoquées. »
À Kahorohoro, le chef de quartier salue les travaux de
remblaiement engagés avec l’église catholique bien que n’ont pas abouti faute
de moyens et d’engagements durables. Selon lui, remettre à niveau la piste, le surélever
avec du sable, créer un passage sûr limiteraient les zones où hippopotames et
humains se croisent. Sans cela, la routine restera fragile où chaque traversée,
chaque marché, chaque nuit laisse une part d’incertitude.
La colère contre la faune grimpe à mesure que les
ressentiments se nourrissent d’angoisse et d’impunité. Mais, prévient Elysée,
la chasse et le braconnage sont une pente dangereuse : « Ça crée une criminalité faunique. Ces hippopotames représentent aussi
une richesse ils attirent des touristes ailleurs. » Agresser ces animaux
peut ouvrir la boîte de Pandore d’une exploitation illégale et d’un
appauvrissement durable de la biodiversité locale.
Signalons que le quartier Kahorohoro, est à ce jour
une île créé et forcée par les débordements des eaux du marais Nyangara au
Nord, Est et Ouest et par la rivière Ruzizi au Sud du coté Burundi.
Pascal BAHUNDE – LPA Sud-Kivu
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